Skol Ar Mor ou le patrimoine maritime préservé

Il est des rencontres qui doivent se faire, peu importe les aléas ! Il y a quelques années, je travaillais à la rubrique patrimoine d’une émission de France 3 (Midi en France) et je me souviens m’être intéressée à l’association Skol ar Mor, qui oeuvre pour former au métier de charpentier de marine. Leur mission va même au-delà de la transmission de savoirs ancestraux puisque c’est tout un pan du patrimoine maritime qui est préservé grâce à l’implication de passionnés. Et cette tradition artisanale séculaire est celle du bateau bois qu’ils perpétuent à Mesquer.

 

À la recherche de Mike Newmayer

À l’époque, le tournage envisagé à Skol ar Mor n’avait pas pu se faire et quand quelques années plus tard j’ai déménagé à Saint-Nazaire, j’ai de nouveau entendu parler de Mike Newmeyer. L’Américain féru d’embarcations en bois qui a créé cette association devenue un « chantier-école » est connu comme le loup blanc en nos contrées. Lauréat des Audacity Awards en 2015 pour cette initiative, nous nous sommes croisés à quelques occasions lors de soirées « mondaines » sans réussir à se voir ou se parler. Nous avions pourtant cette envie mutuelle d’échanger sans savoir encore que nous étions liés de la plus sympathique des façons. Et puis un jour, à l’occasion d’un déjeuner familial avec les enfants de ma belle-maman, je découvre que leur père est ce fameux Américain ! Plus de tentatives mollassonnes, il faut à tout prix que l’on se rencontre.

Mike Newmeyer, de Detroit à Mesquer

Mesquer, la contrée conteuse

Le chantier-école Skol ar Mor est situé dans un de mes endroits préférés de Mesquer, « la petite Écosse » comme je l’appelle, dans une ancienne salorge. Les alentours, entre lande et marais salants sont splendides, les herbes fauves et kaki sont mouchetées d’aquarelles, l’estuaire de Kercabellec laisse choir sur ses rivages de petites bateaux en bois aux couleurs chamarrées. Un vrai décor de carte postale, où une certaine sérénité matinée de nostalgie se dégage. Ici point de barres d’immeubles mais des maisonnettes façonnées de lourdes pierres où s’extirpent parfois des fissures, une herbe folle. Y dardent aussi des roses trémières qui finissent d’enjôler pour de bon le visiteur. C’est un peu un endroit hors du temps, irréel, alors pas étonnant qu’un Américain du Michigan ait eu l’idée saugrenue d’y créer un chantier-école pour y former la fine fleur des charpentiers de marine. Mesquer regorge de magie 😉

L’insolite salorge de Kercabellec

En France, on compte 4 écoles qui forment à ce métier mais Skol ar Mor est la seule qui va au-delà du CAP avec 2 ans de formation continue (celle de Douarnenez a le même niveau mais propose une formation d’1 an). Dans la salorge, plus de sel depuis un bail mais une forte odeur de sciure mêlée au vacarme des scies circulaires. Des carcasses de bateaux en enfilade donnent l’impression d’être au muséum d’histoires naturelles, quand apparaissent les squelettes des mammifères marins. Une douzaine de stagiaires sont répartis à des tâches bien précises, l’un ponce, l’autre trace des mesures, un troisième débite de longues planches de chênes. Ici pas de flânerie, la sciure et la sueur ne font qu’un, l’ambiance est studieuse. Tous les ans, 4 bateaux en bois sortent du petit chantier et chaque élève au cours de sa formation aura l’opportunité d’en construire plusieurs, toujours  différents, pour apprendre le plus de techniques possibles. Il y’a les bateaux à fond plat, à fond courbé, les rebords changent aussi d’un modèle à un autre, les combinaisons sont nombreuses !

Copyright Skol ar Mor

L’excellence à la mesqueraise

Aujourd’hui, après presque 10 ans d’existence,  Skol ar Mor est considérée comme une école d’excellence mais le pari n’est pas encore remporté. L’histoire de Mike est jalonnée de batailles remportées mais non sans embûches ! L’Américain a grandi dans l’état du Michigan où la région des Grands Lacs regorge de bateaux en bois, bien plus qu’en France ! Une véritable culture maritime s’y est développée et ancrée, si bien que Mike en sait tout autant sur les bateaux bois qu’un charpentier de marine Brestois ;). Très jeune, il décide d’en faire son métier et part comme apprenti au Gabon où il construit du matériel d’école en bois. Sur place, il y rencontre sa future épouse, une Française, et ils s’installent à Guérande quelques années plus tard. Bien que nous ayons un chantier naval d’exception à Saint-Nazaire, on fraise et on forge davantage le métal que le bois ! Difficile alors pour Mike de vivre pleinement sa vocation. Il rencontre néanmoins d’autres passionnés de bateaux bois et réalise qu’il n’y a aucune école qui forme au métier de charpentier de marine dans la région. Accompagné par deux pontes en la matière, Jacques Audoin, meilleur ouvrier de France et François Vivier, architecte naval, ils décident alors de fonder leur propre centre de formation qui deviendra un chantier-école. Ici, pas de cours de réthorique devant un tableau noir, juste de la pratique à dose intensive.

Contre vents et marées

Le parcours du combattant ne fait alors que commencer puisqu’il faut imaginer les fondements de leur école, créer leur propre référentiel, un parcours du combattant administratif et linguistique aurai-je du préciser. La Région fini par donner son feu vert pour conventionner l’école de la yôle et ainsi rémunérer les stagiaires. L’association Skol ar Mor s’occupe de tout le reste, cherche les commandes, gère la supervision des chantiers, prodigue savoirs et techniques et forme les jeunes apprentis. Bien sûr, je survole la complexité du projet qui en aurait freiné plus d’un.e !

Un bout de nos côtes dans chaque port du monde

Les clients viennent d’un peu partout en Europe avec un engouement actuel de la part des Irlandais qui redécouvrent le charme intemporel de ces flottes en bois. Courbes girondes ou affutées, lignes racées aux profils singuliers, le bateau bois ne manque pas de cachet ! La commande peut concerner un simple petit bateau en bois de ceux qui flottent dans l’estuaire de Kercabellec, à la reproduction d’un modèle de yacht des années 1930. Les prix démarrent aux alentours de 3500 euros et le/la stagiaire peut décider au début de sa formation de travailler sur la confection de son propre bateau. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les tarifs sont moins onéreux que l’achat d’un bateau classique mais il faut compter un minimum de 5 mois pour réaliser un petit bateau bois, les plus grosses pièces prenant une année entière de confection.

Copyright Skol ar Mor

 

Charpentier de marine, un métier d’avenir

À la fin de leurs formation de deux ans, 80% des stagiaires trouvent un emploi, une réussite qui s’explique notamment par le fait que la main d’oeuvre en ce domaine vient à manquer. Et comme le précise Mike, certains charpentiers de marine bifurquent ensuite pour devenir ébéniste ou charpentier classique alors qu’à l’inverse, un charpentier « maison » ne pourra jamais se reconvertir sans formation dans la confection de bateaux bois. Néanmoins, malgré ces succès d’estime, l’équilibre financier du chantier-école reste fragile.

 

N’hésitez pas à parler de Skol ar Mor autour de vous, ils ont besoin de soutien pour perdurer et continuer à faire voguer sur les flots, la part de rêve d’une poignée d’Hommes. Et tant qu’il y aura des Américains à Mesquer qui fabriquent des bateaux bois dans une salorge, tout reste possible 🙂

Vidéo de la dernière mise à l’eau d’un de leur bateau bois :

1300 route de Bel-Air, 44420 Mesquer
Page FB : https://www.facebook.com/Skolarmor.officiel

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A propos de l'auteur

Clémence de La Nazairienne

Bernique poétique

  1. Pagnard

    Tres bel article
    Belle plume et sujet ô combien intéressant.
    Bravo

  2. Jean ostréiculteur bohème

    Votre plume est agréable à lire Demoiselle
    Et « bernique poétique » me plait bien.

    Sur votre site un peu par hasard, une histoire de marais, dans lesquels je travaille (non non, pas paludier), de « touristes » mal informés, traversant des zones de nidifications… J’en cherchais la cause, via des propositions de promenades insolites courant sur le net…

    Votre présentation de Mike et de Skol est très proche de la réalité.

    Si jamais vous cherchez du « papier »…

  3. Bonjour Jean, merci pour votre message ! J’aurai eu tellement de choses à dire en plus mais l’article était déjà assez long comme ça 😉 Je suis toujours en recherche de sujets, alors n’hésitez pas si vous avez une idée 🙂

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